Skip to content

Le cocktail, une success-story qui était loin d’être contée

Des racines Américaines à l’explosion en France, le cocktail a vécu mille vies. Retour sur une success-story qui s’est construite sur 3 siècles, en montagnes russes.

Alors que la Paris Cocktail Week commence ces jours-ci, le tout Paris se presse dans les nouvelles adresses à travers lesquelles nous vous guidons régulièrement. Pour mieux comprendre cet engouement, nous sommes partis à la rencontre d’Eric Frossard et Thierry Daniel, les deux organisateurs de l’évènement, afin d’en savoir davantage sur l’histoire de la pratique, qui était loin d’être contée d’avance.

L’âge sombre de la prohibition

Si le cocktail connaît un fort regain d’intérêt aujourd’hui en France, ce boom n’a rien de téléphoné. À l’origine, les mélanges remontent à l’Amérique du 19ème et du début du 20ème siècle. La prohibition, qui fit rage à la fin de cette période, mit fatalement un coup de frein au développement de la pratique : “contrairement à ce qu’on pense, cette période a été une réelle régression : les bars clandestins n’avaient pas d’alcools de qualité, ce fut un âge sombre” nous expliquent Eric Frossard et Thierry Daniel.

C’est seulement vers la fin des années 70 que le cocktail revint en grâce dans son pays fondateur. Les savoir-faire disparus et la culture du bien boire n’étant plus, c’est Dale Degroff qui réhabilite la chose en confectionnant des mélanges à partir du patrimoine d’antan, au milieu des 80s. Le “King Cocktail” – c’est son surnom – relance la machine et fait renaître la culture cocktail dans son “Rainbow Room” de New York. Là-bas, il recrée les grands classiques du siècle précédent et ramène la profession de barman au rang d’exigence qu’on connaît aujourd’hui. L’invasion est en marche.

Cocktail

Cocktail

Une propagation européenne aidée

Jusqu’alors, l’Angleterre et le reste de l’Europe restent sur leurs habitudes de consommation. Il aura fallu attendre les 90s pour que des alcooliers fassent pression pour importer cet art au Royaume Uni : ce fut alors essentiellement la vodka qui servit de voie d’accès à nos camarades d’Outre-Manche. À Londres, le cocktail se démocratise avec l’aide de Dick Bradsell qui met sa créativité au service du mythique Atlantic Bar, qui fait alors fureur. On assiste alors à un “revival prohibition”, poussé par des barmen comme Sasha Petraske qui réhabilite par exemple le concept du speakeasy avec le Milk & Honey. D’autre part, les bartenders commencent à vouloir se différencier. Pour ce faire, ils ouvrent petit à petit leurs cartes à d’autres alcools, notamment la tequila.

La prohibition a été un âge sombre pour le cocktail

En France, tout ceci n’arriva que bien plus tard. Comme dans tous les pays de vignes, il fut nettement plus compliqué d’instaurer ce nouveau mode de consommation.

Barmen

Barmen

La France, une terre d’accueil tardive

C’est au début les années 2000 que la France commence à faire sortir les cocktails des bars d’hôtel très traditionalistes. Cette culture de la bouteille de vin partagée à table ne va pas encourager les initiatives. En 2006, c’est Lyon qui se retrouve précurseur du genre dans l’Hexagone avec le Soda Bar d’Arnaud Grosset et Marc Bonneton. A l’époque, ils furent les premiers à remettre au goût du jour la pratique. Ceux qui crurent alors en leur concept n’étaient pas nombreux. Le phénomène prend pourtant un peu plus d’ampleur lorsque nait quelques mois plus tard L’Experimental Cocktail Club, à Paris. Si l’offre existante se cantonnait à des lieux historiques comme la Closerie des Lilas ou le Forvm, ce nouveau lieu commence à démocratiser l’offre avec des prix plus accessibles (9-10€ le cocktail) et une ambiance typiquement new-yorkaise.

Paris vient seulement de rattraper son retard

Ce fut d’abord sur le plan international que les établissements glanèrent leurs premières reconnaissances : le Soda Bar brille alors dans les concours de bartenders, les médias américains se fascinent pour l’Experimental Cocktail Club. Par un système d’aller-retour, la presse française finit par s’intéresser à ces nouveaux-venus qu’encense le reste du monde. Commence alors la cocktail mania que nous connaissons aujourd’hui.

De nouveaux territoires à conquérir

“Il faut relativiser : il reste encore fort à faire, Paris vient seulement de rattraper son retard”, nuancent Thierry et Eric. Comprendre : si l’offre est aujourd’hui satisfaisante, elle n’a pas encore trouvé une signature à la hauteur de celle des autres grandes villes de la scène mondiale. S’il n’y a pas pour l’heure d’identité proprement parisienne, des bars ont éclos dans toute la capitale. Depuis l’arrivée du Mojito, le niveau a énormément grimpé. Il n’est d’ailleurs pas rare de tomber sur des bartenders qui préfèrent passer outre la carte pour proposer des créations personnalisées.

“Le cocktail suit la même voie que la gastronomie de manière générale”. Les grandes tendances de la cuisines prennent d’assaut les comptoirs. Locavore, sans alcool, le cocktail est donc soluble dans l’air du temps. Le bien manger inspire le bien boire et l’adhésion populaire semble aujourd’hui annoncée.

Pourtant la législation pourrait être un obstacle à une ouverture plus universelle : impossible d’organiser en France de concours, notamment télévisés, désignant les meilleurs ouvriers, impensable de faire de la publicité à grande échelle. Voilà qui gêne l’acquisition d’une vraie culture du cocktail. “Aujourd’hui, on est riches de nombreux bars d’atmosphère. Mais on sent que la clientèle n’a pas encore pleinement la connaissance des produits, qu’il faut l’y initier”.

Barmen

Barmen

“Il faut travailler beaucoup pour atteindre un niveau respectable”

Il faut pourtant se rendre compte que la scène cocktail française est encore en évolution. Le statut de barman a énormément évolué, jusque dans la sémantique – bartender. “Alors que nous sommes le seul pays à avoir une formation diplomante , celle-ci se montre parfois dépassée. Il faut désormais désapprendre par moment”. Un eldorado s’ouvre d’ailleurs à des autodidactes déterminés, mais “il faut travailler beaucoup pour atteindre un niveau respectable” expliquent-ils.

Il nous faut éduquer le goût et faire un vrai travail de démocratisation

Il y a aussi des choses qui ne s’apprennent pas, sur lesquels seul le naturel fait la différence : “C’est le seul métier de toute la branche hôtelière qui soit si proche de la clientèle. Il faut, en plus de savoir bien faire les cocktails, savoir être charismatique, pas uniquement porté sur l’exécution du geste.” Aujourd’hui, c’est ce genre de valeur ajoutée qui fait d’un barman une référence. Signe, s’il en est, que l’attente technique est comblée.

Il reste quelques verrous, qui commencent à sauter. De nombreux cocktails-bars gardent encore leur esthétique select et confidentielle, mais cette tendance se dissipe. Il ne reste maintenant qu’aux Français la tâche de parfaire leur connaissance des alcools de qualité. Il leur faut se familiariser avec les cartes, les originalités. “Il nous reste encore à éduquer le goût et faire un vrai travail de démocratisation”, concluent les fondateurs de la Paris Cocktail Week.

LL & CC

Derniers articles Cocktails