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L’interview-fleuve de Jaumet (Pt.1) : la musique française, James Holden, le clubbing…

On a discuté près de deux heures avec Etienne Jaumet, notre Rédacteur en Chef Invité du Week-End. On a parlé des 70’s françaises, de sa collab’ avec Holden et des kicks à chaque temps.

Villa Schweppes : La Visite rappelle vraiment un certain héritage français des 70’s, des groupes comme Lard Free, etc… Comment êtes-vous venu à toute cette musique ?

Etienne Jaumet : Tout commence dans les années 90 avec un Fanzine écrit par Dominique Grimaud qui s’appelle Un certain rock (?) français. C’était un recueil d’articles sur des artistes français en marge entre 70 et 80. Il a très bon goût et est toujours actif, entre autres à travers son label Zut-o-Pistes. Je connaissais certaines choses, comme Dick Annegarn et Heldon mais je me suis aperçu qu’il parlait de pleins d’autres groupes qui me plaisaient. Je me suis alors mis à chercher tous les artistes dont parlait dans ce Fanzine. Ça m’a ouvert énormément de perspectives. Je me suis rendu compte qu’il s’était passé quelque chose de très important en France, alors que je n’avais jusqu’alors que les souvenirs de ce qui passait à la télé dans les 80’s. Parce que dans les 90’s, la production anglaise était toute puissante. Ce que les gens faisaient en France était vraiment atroce. Je me suis donc intéressé à cette période parce que j’ai grandi au sein d’un vrai vide artistique.

Avez-vous le sentiment de revaloriser ce patrimoine aujourd’hui ?

C’était une vraie respiration pour moi. Heldon mélangeait la musique électronique avec les batteries, les guitares, c’était passionnant. La musique électronique, il faut savoir que j’y suis venu très tard. J’ai naturellement été intéressé par Silver Apples ou Suicide aux États-Unis ou Kraftwerk en Allemagne. J’ai ensuite découvert qu’il y avait une autre façon de faire de la musique électronique, plus live, plus spontanée. A l’époque, j’étais allé à quelques raves, mais je n’ai pas réussi à rentrer dans cette musique. J’étais plus intéressé par le rock, les “chansons”. Ces groupes sont mes plus grandes influences. Je n’ai jamais été proche de ces groupes anglo-saxons, trop loin, trop inaccessibles.

J’ai pu faire de la musique avec mes héros

Vous avez d’ailleurs travaillé avec certains de ces artistes…

En en parlant en interview, les choses sont venues à moi. Récemment, il y avait la collaboration avec Richard Pinhas. On s’est rencontrés, on s’est entendus, on a commencé à faire des concerts ensemble puis on a enregistré. J’étais très content, parce qu’on avait la même façon de penser : la musique de ces années là n’était pas particulièrement psychédélique, ni trop prog, ni trop expérimentale. C’est un certain esprit. J’ai donc pu, oui, faire de la musique avec mes héros, comme Gilbert Artman de Lard Free sur une compilation de Zut-o-Pistes. C’est une compilation que je vous conseille vraiment, ça s’appelle Veterans of French Underground meet La Jeune Garde.

Par rapport au patrimoine allemand, d’ores et déjà cultifié, qu’est-ce qui défini cet esprit français ?

Une fois que l’influence anglo-saxonne s’est un petit peu dissipée, les gens se sont intéressés à ce qui s’est passé en Allemagne, parce qu’il y a des groupes étonnants, que les journalistes ont appelé Kraut. On s’est alors rendu compte de l’existence de groupes incroyables comme Can, Harmonia, Kluster, Neu !. Les gens se sont alors focalisés sur cette scène foisonnante et passionnante, que j’ai aussi adoré. Ces groupes étaient moins maîtrisés, moins fashion, moins propres que les anglais, beaucoup plus durs à définir. C’est pas de la musique qu’on apprécie en première écoute. Ça semble bizarre au départ, tu t’accroches à un morceau ou deux, puis tu découvres leur richesse, leur pouvoir sur toi. J’aime qu’une musique ne soit pas directement accessible. Qu’on ait un peu de mal à rentrer dedans.

Qu’est-ce qui a motivé la collaboration avec James Holden ?

La collab’ avec James Holden, c’était très naturel. Même si c’est un peu bizarre à dire, il était fan de Zombie Zombie et mon projet solo. Il a vu quelque chose qui l’interessait musicalement, parce qu’il n’avait jamais fait de vrai live. Je me suis aperçu qu’il nous jouait souvent dans ses DJ sets, puis qu’il venait toujours nous voir quand on était à Londres. On a commencé à communiquer. Il voulait faire un album très différent de ce qu’il faisait avant, il allait là où on ne l’attendait pas. Il bloquait sur un morceau et m’a demandé de lui faire des saxos. Je lui ai envoyé plein de saxos et c’est marrant, parce qu’il les a finalement tous mis en même temps. Le morceau est vachement chouette. Il m’a ensuite appelé pour participer à son live sur lequel j’ai fini par jouer sur la moitié ou les trois quarts des morceaux. On a crée un groupe, quelque part.

Il avait dit qu’il avait été très intéressé par ce que vous lui aviez fait écouter, Pinhas, tout ce dont nous parlions…

C’est marrant, parce qu’avec James, tu parles de plein de trucs, et j’ai remarqué qu’il note tout dans sa tête. Il n’est pas du tout dans la copie, c’est ce que j’adore chez lui : il se nourrit, mais dans le sens spirituel, de la musique des autres. Ça se sent tout de suite. Son disque est l’un des plus importants sortis ces dernières années. Mais The Inheritors ne ressemble à rien et est très consistant, c’est un grand disque, et je suis très content d’être dessus.

Il y a un parallèle intéressant entre vous deux : lui qui était DJ est devenu producteur, et vous, producteur, vous êtes récemment devenu DJ.

Il conçoit la musique comme un parcours, une aventure. Il s’intéresse à la musique club depuis qu’il est ado. Alors à plus de 30 ans… Il a une oreille tellement ouverte sur d’autres styles de musique que c’était normal qu’il tente d’aller vers autre chose. Il a réussi. D’autres essaient, mais je trouve que ça ne marche pas. Souvent, ceux qui essaient de partir hors de la musique électronique ne s’en sortent pas vraiment bien. D’ailleurs, je ne ferais peut être pas de la musique électronique toute ma vie. Pour l’instant, je ne m’en lasse pas, mais j’aime bien les défis. Peut être que mon prochain album sera complètement acoustique. Ou complètement jazz, je ne sais pas. J’aimerais bien qu’on me propose ça.

Avez-vous le sentiment de trouver une matière qui serait une espèce de liant entre la musique club moderne et celle que tu as chérie ?

Je n’ai découvert la musique club que très récemment, en signant sur Versatile. J’allais aux soirées du label et je me suis rendu compte que ça me plaisait. Moi qui n’avait jamais été en club étant ado, je comprenais finalement très tardivement l’intérêt de cette musique. Quand j’étais grunge, je comprenais pas pourquoi il y avait ce kick sur tous les temps, je trouvais ça réducteur. Je n’avais rien compris. Il y a des gens qui n’ont toujours pas capté. L’objectif, c’est l’abrutissement. Ce truc qui va t’endormir et en même temps t’ouvrir les sens. Ça te met dans un état second. C’est toujours quelque chose qui m’a toujours séduit, même dans la musique rock. La recherche d’un ailleurs. Ce que j’aime avec la musique club, c’est que les gens viennent pour danser. Mais ce n’est pas parce qu’ils viennent pour danser qu’il faut faire quelque chose de bête. J’aime les prendre à contre-pied. On peut faire quelque chose de très stimulant.

C’est certes dans toutes les musiques mais dans la musique de club, il y a des choses très stéréotypées : des morceaux très longs à composer, des productions très léchées. Avec l’outil informatique, on peut aller chercher dans les moindres détails et tout contrôler. J’aime bien ce lâcher prise. C’est comme dans le rock, je déteste voir un live dans lequel tout est trop carré, où tu reconnais les morceaux à la note près. Ce que j’aime, c’est la surprise, le petit miracle. Le moment où tu as l’impression de participer à quelque chose d’exceptionnel. J’ai voulu me surprendre moi même dans La Visite. Je suis pas chanteur, mais j’ai mis des voix, je ne suis pas jazzman, mais j’ai essayé de mettre des touches jazz dedans. Je ne suis pas un technicien très fort, et j’utilise des instruments aux possibilités assez limités. Mais je me suis rendu compte que la limite n’est pas dans l’instrument, elle est dans la créativité et l’énergie. Je cherche à retrouver une grande spontanéité dans la musique électronique, faire quelque chose de libre, un peu premier jet. J’ai beaucoup collaboré, et là, je voulais faire un vrai disque solo. La plupart des gens de la musique électronique font appel à une quinzaine de musiciens et ça donne des disques sans queue ni tête. Au contraire, je cherche toujours à créer et affiner un langage qui me soit vraiment propre.

Suite de l’interview ici



Retrouvez Etienne Jaumet en rédacteur en chef invité du 13 au 16 novembre.