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Cascadeur : “Tant que je pourrai continuer, je serai heureux”

Cette semaine, Cascadeur est notre rédacteur en chef invité sur la Villa Schweppes, à l’occasion de la sortie de son deuxième album, Ghost Surfer.

La Villa Schweppes : Quel a été le point de départ de Ghost Surfer ?

Cascadeur : Le point de départ est un besoin de synthèse. J’avais cette démarche sur le premier album, qui reprenait des morceaux que j’avais écrits pendant une grande période de solitude artistique. J’avais sorti 3 albums autoproduits, et je m’étais replongé dedans. Pour Ghost Surfer, je voulais me repencher sur les univers musicaux qui m’avaient marqués : la musique classique, le lyrique, le jazz, la pop, tout ce qui est musique contemporaine et de recherche. Et puis j’avais envie de faire un album assez ouvert, avec pas mal d’invités. Dès le début, je voulais des visiteurs.

Vous êtes un cascadeur, maintenant un “fantôme surfer” : est-ce que vous prenez toujours autant de risques ?

J’ai cette impression. Après, les choses évoluent, la réception est autre. Je ne suis plus une révélation, il y a donc quelques attentes. Et puis il y a toute une légende autour du second album. On sait que c’est compliqué, mais en même temps, personnellement, je ne l’ai pas du tout mal vécu. Je savais que quand je rentrerais de tournée je ferai des morceaux. J’étais assez tranquille… L’inquiétude était ailleurs. C’est plus sur l’idée de réception. Le public va-t-il me suivre ? Cet album va-t-il déstabiliser ?

Combien de temps vous a pris Ghost Surfer ?

C’est toujours compliqué avec moi parce que j’utilise des morceaux qui sont très anciens et aussi des morceaux récents, c’est un mélange de nappes temporelles. Certains ont des bases enregistrées en 2008, et d’autres sont venus très récemment.

Il n’y a jamais un souci de cohérence entre tous les morceaux ?

C’est vrai qu’un morceau comme “Collector” a plus de dix ans. J’ai gardé beaucoup de prises, j’avais les cordes programmées, j’ai réécrit les arrangements pour laisser la place aux vrais instruments. La texture du morceau est très proche, sauf que c’était moi qui la chantait il y a 10 ans.

Vous pensiez déjà à Christophe à l’époque, qui chante sur ce morceau ?

Non, mais on m’en parlait. Quand je faisais écouter aux gens pour savoir ce qu’ils en pensaient, on me parlait souvent de lui pour la voix. Et ça m’a marqué. Je l’ai rencontré en faisant une scène commune, il était dans la loge d’à côté. Il connaissait le projet. On l’a rencontré puis envoyé le morceau. Sur la fin de l’enregistrement, il est revenu une soirée ré-enregistrer. C’est peut-être l’une des personnes sur l’opus que j’ai le moins vu, mais on s’est beaucoup écrit.

Il y a une grosse influence des années 70 dans votre travail…

Cela vient surement des disques de mes parents. C’est souvent par son grand frère ou sa grande soeur qu’on fait son éducation. La mienne vient de mes parents : il y a une reproduction du goût. Il y avait aussi Ferré : je trouvais qu’il s’inspirait des Impressionnistes comme Debussy, Ravel. On pouvait donc faire des ramifications…

Vous avez un passé de pianiste ?

Oui, j’ai commencé à huit ans. J’ai fait beaucoup de musique, mais j’avais d’autres occupations à côté, une double vie. Je n’étais pas destiné à faire de la musique. Ça me plait d’avoir été transversal. C’est une passion. J’en ai eu plusieurs, que je poursuis encore. La musique évidemment m’accapare beaucoup plus aujourd’hui…

D’où vient cette volonté de se cacher derrière ce nom de scène, Cascadeur ?

Il y a une part enfantine : quand j’étais plus jeune, j’aimais bien me masquer. Et puis rapidement, quand j’ai commencé la musique, ce fut très compliqué pour moi de m’exposer. Quand il s’agissait de jouer mes morceaux devant les autres, seul, j’étais tremblant. Le casque m’aide, même pour les interviews. Je suis émotif, et c’est éprouvant de parler de soi. On est toujours dans le domaine de la récompense ou de la tomate jetée. J’ai eu de la chance avec mon premier album, mais il y a eu des critiques très dures : c’est comme de se prendre un rateau amoureux de la part de quelqu’un que tu ne connais pas.

Vous prenez quand même du plaisir au live ?

J’ai un drôle de tempérament. Je peux être très timide et aussi très extraverti. Sur scène, je dépasse assez vite les bornes. Je suis volcanique, mais ça ne se voit pas.

Pour ce live, vous pensez à des installations spéciales ?

Je ne peux pas trop en révéler, mais en tout cas, je ne suis plus seul sur scène. Je voulais qu’il y ait une autre dynamique, une autre énergie. Cela va plus vers ce que je désire, avec un travail sur les voix et sur les choeurs. J’essaie d’insuffler une énergie qui parfois me manquait.

Cascadeur se décrit souvent comme un retour à l’enfance : il se matérialise comment?

Pour la première tournée, j’aimais beaucoup utiliser des jouets. Pour la deuxième, j’ai changé la formulation, j’en utilise toujours un peu, et puis vous en retrouverez certains sur l’album. J’aime bien les xylophones, les boites à musique, les sons aigrelets. Il y a des bruits qui reviennent d’un album à l’autre, cela me permet de faire un lien.

Quelles ont étés vos influences pour cet opus ?

J’écoute des choses assez variées. James Blake, Anthony & The Johnsons…J’aime beaucoup le trip-hop, tout ce qui est assez lyrique, des artistes comme Radiohead ou Jeff Buckley me parlent, cet aspect écorché vif. Patrick Watson aussi. il y a vraiment des points communs dans la tessiture de voix, et son travail.

Comment composez-vous ?

C’est toujours la musique en premier. Le texte arrive toujours après. C’est une fois que je suis attaché au morceau que je peux écrire les paroles. Elles sont en hommage à des situations que j’ai pu vivre, des films que j’ai pu voir, des choses qu’on a pu me raconter. “Casino”, le premier morceau de l’album, est venu en regardant à la télévision un reportage sur les joueurs qui ont tout perdu à Vegas et qui vivent en dessous des casinos, dans les conduits d’évacuation d’eau. Ça m’a beaucoup ému.

Vous travaillez souvent avec des gens qui ont une certaine proximité avec vous et votre univers musical : vous voyez travailler avec des personnes à l’exact opposé de vous?

Stuart des Tindersticks me semble rentrer dans cette catégorie. Une voix sombre, vibrante et anglaise. Il sonne presque Motown, et ça m’a interpellé. Je peux me sentir proche de musiciens et de chanteurs qui semblent loin de moi.

Pourquoi utilisez vous l’anglais dans votre album ?

Je l’utilise de la même manière que le casque. Je voulais masquer ma langue. Ça me permettait d’asseoir le mystère et de ne pas m’apesantir sur la chanson française qui parfois m’étouffe un peu dans ce culte du texte et la négligence de la musique. Ça me permet aussi d’exprimer une forme de lyrisme qui en français peut sembler parfois un peu ridicule, un peu ampoulé.

Il y a un côté très cinématographique dans votre musique…

Je suis peut-être plus influencé par le cinéma que par la musique. “Casino” est aussi un clin d’oeil à Scorsese. J’aime aussi beaucoup le Nouveau Hollywood. Mais le grand choc amoureux pour le cinéma a été pour moi Orson Welles. J’avais 18 ans. A ce moment-là, je ne savais pas vers quel support m’orienter, et cela m’a donné envie de le faire pour le cinéma.

Ça vous dirait de composer justement pour le cinéma ?

Quand on me parle d’aboutissement, celui-là en serait un, en effet. C’est un rêve d’enfant. Après c’est simple et compliqué. Quand on regarde les relations qui existent entre réalisateur et compositeur, on voit que ce sont des collaborations régulières. J’aimerai bien rencontrer un réalisateur qui porte quelque chose en lui et avec qui je pourrais passer du temps. Après je suis disponible, c’est à l’autre de se manifester, j’espère…

Dans sa problématique, cet album nous a fait penser à “Major Tom” de Bowie : c’était voulu ?

Je ne suis pas un spécialiste de Bowie, mais c’est quelqu’un qui m’intrigue beaucoup. J’ai une drôle de relation avec le travail des autres : je veux rester un peu à distance. L’important c’est de saisir ce qui se cache derrière, l’esprit.

Vous vous voyez incarner un autre personnage, comme il a pu le faire ?

Pourquoi pas ? Mais il sera masqué, forcément. Je n’ai pas envie de faire un second album qui ressemble au premier. C’est important l’idée de transformation, de mutation.

Quel serait l’aboutissement de Cascadeur ?

L’aboutissement, je le vis quelque part. J’ai la chance de pouvoir faire écouter mes morceaux au delà de mon cercle, des inconnus en parlent et sont touchés. En faut-il toujours plus ? Je ne suis pas certain… Tant que je peux continuer ce que je fais actuellement, je serai épanoui et heureux.

Quels sont vos projets ?

Cette année, cela va être beaucoup de discussions comme celle-ci, et le 3 février sort l’album. J’ai le trac. C’est comme une naissance la sortie d’un opus, on espère que tout va bien se dérouler, sans que l’on ait à utiliser les forceps.

Quelle est la question qu’on a oublié de vous poser ?

Je crois qu’il n’y en a pas… Mais moi j’en ai une : qu’avez vous pensé de mon album ?

…on l’a adoré !

Retrouvez Cascadeur en rédacteur en chef invité toute la semaine du 3 février 2014 sur le site de la Villa Schweppes !